Page:Guillaume d’Orange, le marquis au court nez (trad. Jonckbloet).djvu/278

Cette page a été validée par deux contributeurs.
275

— Hélas ! malheureuse, sanglota-t-elle, je puis bien dire que le sort m’accable. C’est à cause de moi que toute cette jeunesse est perdue. Mon Dieu, soutiens-moi ! je ne suis qu’une pauvre femme. Sainte Marie, reine du ciel, que ne suis-je morte et enterrée ! Mon désespoir ne finira qu’avec la vie.

Puis se tournant vers le comte Guillaume, elle lui dit :

— Ah ! seigneur, qu’avez-vous fait de Bertrand, de Guibelin et du vaillant Guichart, de Gautier de Termes et du preux Vivian ? de tous ces vaillants chevaliers ? Ah ! rendez-les moi sains et saufs et vivants !

— Dame, répondit-il, ils sont tous morts en Aleschant. Du côté de la mer nous trouvâmes Turcs, Sarrasins, Persans, ceux de Saragosse et de Palerne, et tous ceux d’Afrique. Borrel y était avec ses quatorze fils, et Desramé et le géant Haucebier et bien trente rois et émirs, conduisant plus de cent mille infidèles. Nous les attaquâmes et le comte Bertrand fit des prodiges de valeur ainsi que mon neveu Girard de Commarchis, Guichart et Gaudin ; mais Vivian fit mieux qu’eux tous. Jamais il ne recula d’un seul pied pour homme qui vive, et jamais les Sarrasins ne le mirent en fuite. Mais il y avait tant de païens et il leur vint tant de renfort de leur flotte, que jamais, de mémoire d’homme, on n’en vit autant. L’Archant disparaissait sous les armures et les écus : contre un des nôtres il y avait bien cent ennemis. Mes hommes sont morts, pas un seul n’est échappé, et moi-même je suis blessé en plusieurs endroits. Je puis dire sans mentir que je leur ai tenu tête jusqu’à ce que ma cotte de mailles fût déchirée en trente endroits, et que mon heaume en pièces pendît sur mes épaules, retenu par ses lacets. Ne me blâmez pas, si enfin j’ai pris la fuite.

— Dieu m’en garde ! répondit-elle.

Le château se remplit de deuil ; les nobles dames pleurèrent leurs maris et les demoiselles leurs amis. Les sanglots et les cris allèrent croissant.