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Le comte avait le plus grand désir d’entrer au château, et cela ne doit étonner personne ; ce n’est pas sans raison qu’il eut peur en entendant la terre trembler derrière lui sous les pas de ses ennemis.

— Noble comtesse, reprit-il, vous me faites attendre trop longtemps ; voyez comme les hauteurs se couvrent de païens.

— Certes, répondit Guibor, ce que vous dites là me prouve combien vous ressemblez peu à Guillaume, qui jamais ne se laissa épouvanter par Turc au monde. Mais par le Dieu que j’adore ! je ne ferai ouvrir porte ni guichet tant que vous n’aurez pas découvert votre tête et montré la bosse sur votre nez. J’avoue que par le son de la voix vous ressemblez à mon époux ; mais on peut s’y tromper. Et l’on ne doit pas me blâmer d’être circonspecte, puisque je suis seule.

À ces mots le comte, plein de colère, délaça son heaume et rejeta la ventaille en arrière.

— Dame, fit-il, maintenant vous pouvez me regarder. Au moment où Guibor allait le regarder, elle vit passer non loin de là cent païens, conduisant vers Desramé trente jeunes écuyers prisonniers, garottés de fortes cordes, qu’ils battaient et malmenaient à plaisir. Lorsque dame Guibor les entendit crier et invoquer Dieu, elle dit à Guillaume :

— Voici l’occasion de prouver que tu es bien le comte Guillaume. Si tu es réellement le brave Bras-de-fer, tu ne laisseras pas les païens emmener et battre et maltraiter nos gens en ta présence.

— Mon Dieu ! fit le comte, combien demande-t-on de preuves ! Mais par le Sauveur ! dût-il m’en coûter la vie, j’irai à l’attaque sous ses yeux. Par amour pour elle et en l’honneur de Dieu je dois bien me résigner à cette nouvelle fatigue.

Il relaça son heaume et lança son cheval sur l’ennemi. Au premier qu’il atteignit il troua l’écu et la cotte de mailles, le perça de part en part avec sa lance et le jeta mort