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— Noble comtesse, venez vite. Il y a devant le château un chevalier tout armé. Il monte un cheval comme je n’en ai jamais vu, et porte une belle armure sarrasine. Il a l’air fort redoutable et semble sortir d’un combat ; car j’ai vu qu’il a les bras sanglants. Il me semble bien grand sur son cheval ; et il dit qu’il est Guillaume au court nez. Venez, pour Dieu ! madame, et jugez par vous-même.

Guibor, à ces paroles, pâlit. Elle descendit du palais seigneurial et alla se placer aux créneaux. Ayant jeté un coup d’œil au-delà du fossé, elle dit à Guillaume :

— Vassal, que veux-tu ?

Le comte répondit :

— Dame, ouvrez-moi vite la porte et baissez le pont, car Bauduc et Desramé me suivent de près, avec vingt mille païens, le casque en tête. S’ils mettent la main sur moi, je suis un homme mort. Noble comtesse, pour Dieu ! ouvrez vite la porte, hâtez-vous.

Guibor lui répondit :

— Vassal, tu n’entreras pas ici. Je suis toute seule, je n’ai pas un seul homme avec moi, sauf ce portier et un prêtre et un enfant qui n’a pas quinze ans. Il n’y a ici que des dames qui ont le cœur gros et sont en peine pour leurs maris, que mon seigneur a menés en Aleschant contre les païens sans foi. Je n’ouvrirai porte ni guichet, avant que Guillaume, mon bien-aimé, ne soit revenu. Que Dieu, qui mourut sur la croix, le protége !

Quand le comte entendit ces paroles, il baissa la tête et un torrent de larmes inonda son visage. Puis levant les yeux sur Guibor, il dit :

— C’est moi. Je m’étonne que vous ne me reconnaissiez pas. C’est mal. Je suis Guillaume ; ne doutez pas de ma parole.

— Sarrasin, vous mentez, reprit Guibor. Par saint Denis ! mon patron, on ne vous ouvrira pas avant que vous ayez désarmé votre tête.