Page:Guillaume d’Orange, le marquis au court nez (trad. Jonckbloet).djvu/263

Cette page a été validée par deux contributeurs.
260

Quand Aarofle vit tomber Danebron, il pensa s’évanouir de douleur. S’adressant à Guillaume il dit :

— Tu ne peux m’échapper. Par Mahomet, dont je suis le serviteur ! tout l’or du monde ne pourrait te garantir de la mort que je te donnerai. Tu sentiras le fer de ma lance qui a terminé la carrière de maint chrétien. Tu ne rentreras pas à Orange auprès de la prostituée qui a couvert de honte mon cousin Thibaut, et l’a chassé d’Orange et du pays, jusqu’au delà de la mer. Que je perde ma couronne si je ne te fais repentir de tout cela.

Le comte Guillaume regarda le païen et le trouva démesurément grand et fort ; il avait tout un pied de plus que lui ; dans toute la chrétienté il n’y avait si grand homme.

Il était splendidement armé. Il portait un haubert resplendissant, dont les manches et le col étaient ornés d’une bordure de pierres précieuses qui jetaient un grand éclat. Sur sa tête il portait une cervelière de cuir bouilli, recouverte d’un heaume orné de pierres précieuses, attaché à sa cotte de mailles par trente lacets. Sur le nasal reluisait une escarboucle jetant plus de clarté qu’un cierge allumé. L’écu qu’il portait au cou était étincelant de couleurs ; quatre lions y étaient figurés en relief avec un dragon au milieu. Le tout était entouré d’une bordure dorée et doublé de cuir de cerf, rembourré de coton. La courroie à laquelle il était suspendu, était recouverte d’une étoffe richement brochée d’or. Il tenait au poing un fort épieu, dont le fer pointu et affilé était large d’un empan, et enduit d’un poison mortel. L’épée à la poignée incrustée d’or, qu’il portait au côté, avait une toise de long ; il n’y avait en France homme si grand, que l’eût-il passée dans son baudrier elle n’eût traîné à terre. Cette bonne épée avait passé de roi en roi, jusqu’à ce qu’enfin elle se trouvât entre les mains d’Aarofle, le frère de Desramé, le plus féroce des Turcs.

Le cheval qu’il montait était si fort, qu’il galoperait toute une journée avec deux chevaliers sur le dos armés de pied en