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— À quoi vous ont servi beauté, noblesse et courage, mon Vivian ! Je vous ai élevé par amour, et ma belle et noble femme vous aimait tant, que pendant sept ans sa couche fut votre berceau. Lorsque je vous armai chevalier, par amour pour vous je conférai la chevalerie à cent de vos compagnons, — et malgré mon amour vous voilà couché par terre, percé et blessé en trente endroits. Que le Dieu tout-puissant ait pitié de votre âme et de tous ceux qui sont morts pour vous et qui gisent de tous côtés en cette plaine ! Ah ! mon Dieu, mon cœur est navré de douleur ! — Vous aviez juré de ne jamais fuir la longueur d’une lance par crainte des Sarrasins, et je vois bien que vous avez tenu votre serment. Voilà pourquoi je vous ai perdu si tôt. Dorénavant les Sarrasins auront toutes leurs aises, quand ils seront délivrés de vous, de moi, de mon brave neveu Bertrand, de mon bien-aimé Guichart, et de tous ces guerriers que j’avais amenés ici. Ils reprendront Orange et toute ma terre, et pas un homme ne sera là pour la défendre.

Subjugué par sa douleur, le comte tomba encore une fois sans connaissance. Lorsqu’il reprit ses sens, il regarda le jeune homme, et il lui sembla qu’il avait fait un léger mouvement de tête. Effectivement Vivian avait entendu ce que disait son oncle, et la pitié lui fit pousser un soupir.

— Dieu soit loué ! dit Guillaume, mes vœux sont exaucés.

Il entoura Vivian de ses bras et lui dit :

— Pour l’amour de Dieu, beau neveu, dis-moi si tu vis.

— Oui, mon oncle, mais c’est à peine ; mon cœur est brisé dans ma poitrine.

— Neveu, dit Guillaume, dis-moi la vérité, as-tu communié avec le pain sacré, bénit par le prêtre à l’autel ?

— Je n’en ai pas goûté, répondit Vivian ; mais je sais bien que Dieu m’a visité, quand vous êtes venu, et j’en remercie le Seigneur.

Guillaume mit la main à son aumonière et en retira