Page:Guillaume d’Orange, le marquis au court nez (trad. Jonckbloet).djvu/243

Cette page a été validée par deux contributeurs.
240

tremble sous leurs pas. Desramé est à leur tête avec son neveu Tacon ; ils animent leurs guerriers en criant :

— Ils mourront tous. Aujourd’hui Guillaume perdra son bien et son honneur ; pas un seul de ses hommes ne sortira vivant d’ici.

À ces mots leur acharnement redouble ; les lances volent en éclats, les écus tombent en pièces, les hauberts sont coupés et démaillés. Que de têtes, de pieds, de bras coupés ! Que de morts entassés les uns sur les autres ! Ils étaient couchés par terre par milliers. Et le bruit s’entendit à cinq lieues à la ronde.

Vivian était au milieu du champ de bataille, ses boyaux sortent par ses plaies ; il les fait rentrer aussi bien qu’il peut, et s’entoure les reins de la banderolle de sa lance qu’il serre avec force. Puis se redressant sur son cheval, il se jette de nouveau dans la mêlée. Les ennemis sentent le poids de son épée d’acier ; il met en fuite les plus hardis et les poursuit jusqu’au rivage. Mais voilà que s’avancent vers lui les escadrons du roi Gorant, gens de hideuse apparence, armés de pesantes masses d’armes, dont les bouts étaient garnis de fer. Ils sont dix mille et leurs cris rauques font reculer les vagues de la mer.

Lorsque Vivian vit cette troupe de si laide apparence, et qu’il entendit ce bruit formidable, il n’est pas étonnant qu’il s’en émût. Il revint sur ses pas ; mais il n’avait pas fait en fuyant deux pas, quand, arrêté par la rivière, il se rappela le serment qu’il venait de violer.

Il retint son cheval, et se frappant la poitrine, il s’accusa devant Dieu d’avoir fui.

— C’est pour la première fois en toute ma vie que je tourne le dos à l’ennemi. Meâ culpâ ! Les païens me paieront cette seule faute.

Il fait face à ses adversaires, et les attaque avec fureur. De leur côté ils lui font sentir la pesanteur de leurs masses ferrées ; le sang lui sort de toutes parts de son haubert,