Page:Guillaume d’Orange, le marquis au court nez (trad. Jonckbloet).djvu/237

Cette page a été validée par deux contributeurs.
234

— Mon Dieu, dit-il, que ma perte est grande ! Ce mien neveu est le plus hardi de toute ma famille.

— Laissez les plaintes. Sommes-nous des femmes pour nous lamenter ? La douleur ne sert à rien du moment qu’on se sait perdu sans retour. Oncle Guillaume, vous voyez bien que je vais mourir. Pour l’amour de Dieu, donnez-moi mon cheval, serrez mes boyaux autour de moi, mettez-moi en selle, placez les rênes dans ma main gauche et mon épée dans la droite, tournez-moi du côté où il y a le plus de païens et laissez-moi le champ libre. Si je n’abats pas leurs meilleurs guerriers, pourvu que je les trouve sur mon chemin, je ne suis pas le neveu de Guillaume au court nez.

— Beau neveu, répondit-il, je n’en ferai rien. Vous resterez ici tranquille et vous vous reposerez ; moi je retournerai au combat chercher mes ennemis mortels.

— Vous avez tort, monseigneur, dit le jeune homme. Si je meurs ici au milieu de l’ennemi, j’en serai bien sûrement récompensé ; la couronne du martyre m’attend en paradis. Si vous me refusez ce que je vous demande, je me tuerai, soyez en persuadé.

Guillaume ne put résister, quand il se vit ainsi conjuré. Malgré lui il le conduisit au milieu des païens. Vivian frappa en vrai chevalier. Dieu le soutint en selle, et chaque coup qu’il portait était mortel. Guillaume de son côté fit de même, et à eux deux ils ont bien tué deux cents ennemis.

Au milieu du carnage le comte fut séparé de Vivian, qu’il ne retrouvera plus qu’au moment de sa mort. Alors il se mit à fuir, jusqu’à ce qu’il eût rencontré Bertrand, auquel il raconta tout ce qu’il avait vu.

— Tenez-vous près de moi, lui dit Guillaume. Vous voyez comme l’Archant est plein de ces Turcs que Dieu maudisse. Le Diable lui-même en a amassé tant.

— Vous avez tort de les craindre ainsi, dit Bertrand. Oncle Guillaume, ne perdez pas courage. Frappez à droite, je frapperai à gauche, afin qu’on ne puisse rien reprocher à