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battant. Et il avait tellement confiance en Dieu et en sa force prodigieuse, qu’il ne redoutait roi ni amirant.

Il se jeta sur l’ennemi, et dix païens avaient mordu la poussière avant que sa lance se brisât. Puis saisissant la bonne épée que l’empereur Charles lui avait donnée, lorsqu’il l’arma chevalier, il en porta un tel coup à un Sarrasin nommé Auquetin, qu’il le pourfendit jusqu’au milieu du dos ; ensuite il tua Pinel le fils de Cador, et trente autres. À chaque coup il criait „Monjoie,” le cri de guerre des Français. Ses compagnons ne firent pas de moindres prouesses. Si Guillaume tua beaucoup d’hommes, son neveu Bertrand montra quel homme il était, ainsi que Guibelin et Guichart ; les coups portés par le Toulousain et par Gaudin ne furent pas moins admirables. Bientôt ils eurent tué cinq cents de leurs adversaires dont le sang empourpra la plaine. Les têtes et les bras volent par terre et les chevaux sans cavaliers courent à droite et à gauche. Assurément il fut bien hardi et à l’épreuve des émotions, l’homme qui, ce jour là, n’éprouva aucune frayeur.

Mais quoiqu’il y eût bien des morts et bien des blessés, celui qui méritait le plus de compassion, c’était Vivian. Aveuglé par la perte de son sang, il se démène parmi les combattants ; il attaque en furieux, et chaque coup qu’il porte est un coup mortel. Mais il est fatigué et affaibli par le sang ruisselant de ses blessures, autant que par les coups répétés qu’il a portés. Ses quatre grandes blessures sont si mal bandées que le soleil joue à travers : ses vêtements sont déchirés et traînent dans la poussière. Il rassemble les boyaux qui lui pendent sur les arçons, et sachant que sa fin est proche, il les coupe avec son épée.

Un instant plus tard il rencontre Guillaume qu’il ne reconnaît pas, étant aveugle. Il lui donne un tel coup de son épée sur le sommet doré du heaume qu’il lui eût fendu la tête, si le comte ne se fût jeté de côté ; toutefois le fer formidable tranche l’écu en deux, fait voler cent mailles du hau-