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d’écus troués, que de hauberts découpés, que de Sarrasins morts et défaits ! Jamais on ne vit attaquer les mécréants de si bon cœur. Chacun fit de son mieux ; mais Vivian surpassa tous les autres. Pas un païen ne put résister à ses coups ; je lui en vis tuer un millier de sa main. Mais cela ne lui servit de rien ; pas un des nôtres n’en réchappera. — Vivian était déjà grièvement blessé lorsque nous remarquâmes un antique château. Il nous fallut passer au milieu de l’armée ennemie pour y parvenir. Nous réussîmes, et c’est là que Vivian blessé s’est jeté avec le reste des siens, tout au plus au nombre de cinq cents. Les païens les assiégent, et ils sont en si grand nombre, que c’est avec la plus grande peine que j’ai pu traverser leur camp. Vivian vous supplie pour l’amour du Christ, que vous le secouriez ; sinon, vous ne le reverrez plus jamais. Et comme preuve de ma véracité, regardez mon écu et mon heaume et voyez comme je suis inondé de sang.

Quand Guillaume eut entendu ce récit, la douleur et la colère l’empêchèrent de proférer une seule parole. Dame Guibor soupira longuement, Bertrand et les autres se tordirent les poings.

Enfin Guillaume dit :

— Beau neveu Girard, il est donc vrai, mon neveu Vivian est en Aleschant à la merci des païens ?

— Oui, je vous le jure au nom de Dieu. Je pense que vous ne le reverrez jamais.

La colère du comte alla s’augmentant, pendant que Guibor versait un torrent de larmes.

— Comment pourrai-je venger l’ami bien cher à mon cœur, si les Turcs sont en si grand nombre ? Cinq cents Français ne sont rien, et je suis absolument sans argent pour prendre des hommes à ma solde. J’ai tant guerroyé contre les païens, que si cette tour avait été pleine de deniers, ils auraient été dépensés depuis longtemps.

— Dieu ! soupira Guibor, comme ce faible comte se laisse