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Tous ses compagnons se regardèrent en se demandant :

— Cet homme a-t-il perdu la raison, qu’il croie possible de se frayer un chemin à travers ces païens et de les refouler jusqu’à la forteresse ?

Se tournant vers Vivian, ils dirent :

— De quelle manière voulez-vous arriver là, quand nous en sommes séparés par des milliers de Sarrasins ? Leurs rangs sont plus épais qu’une forêt vierge. Comment pourrions-nous les percer ?

— Avec notre bonne épée, répartit Vivian. Suivez-moi, je vous montrerai le chemin.

Il se mit à sonner du cor, ce qui fit saigner ses blessures ; mais cela ne l’empêcha pas de tirer l’épée, et de se jeter avec fureur sur les Sarrasins, qu’il pourfendit et tua avec une hardiesse surprenante. Tous ses hommes firent comme lui. Le matin ils étaient trois mille, il n’en reste que la moitié. Les autres ont succombé ; leurs âmes sont au ciel devant Dieu. Et ceux qui vivent, ont presque tous de larges blessures. Mais l’énergie du désespoir leur a ouvert une route à travers les rangs des païens ; ils réussissent à se jeter dans le château dont ils lèvent aussitôt le pont. Les murs en sont hauts et construits en pierre ; ils pourraient se défendre un mois entier, s’ils avaient à boire et à manger ; mais ils n’ont que leurs coursiers pour toute provision.

— Champions de Dieu, dit Vivian à ses compagnons, ne perdez pas courage ; c’est pour la cause du Seigneur que vous souffrez ; vous trouverez votre salaire en paradis. Pour aujourd’hui, prenez quelques-uns de vos destriers, dépécez-les avec vos épées et qu’ils vous servent de nourriture, jusqu’à ce que Jésus ait merci de nous. Mais je vous prie de faire bonne garde. — J’ai quatre blessures, il est vrai ; mais, Dieu merci ! je m’en suis bien vengé sur ces païens félons. À moi seul j’en ai pourfendu un millier. Je n’ai pas reculé ; au contraire, j’ai marché en avant et je me suis établi au milieu d’eux. On ne reprochera pas à ma