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païens auront mordu la poussière avant qu’on en soit là.

Vivian éperonne son cheval et court à droite et à gauche au plus fort de la mêlée ; quiconque est atteint par son glaive tombe mort. Mais il y a tant d’ennemis qu’ils sont cent contre un. Le jeune homme pleure sous son heaume ; car il voit bien qu’il aura le dessous.

— Dieu, dit-il, protégez vos serviteurs ! Ah ! oncle Guillaume, je ne te reverrai jamais, ni ma famille, ni les gens du pays. Bientôt tu auras de nous de bien tristes nouvelles. Et vous, belle comtesse Guibor, qui m’avez élevé et longtemps choyé sur votre sein, quand on vous racontera ma mort, vous pleurerez amèrement pour l’amour de moi.

Le cœur lui manque et peu s’en faut qu’il ne tombe de cheval. Mais quand il voit les siens enveloppés de toute part, il se rejette au milieu des combattants, l’épée haute, éventrant et estropiant tout ce qu’il rencontre.

Cordroan d’Auvergne, voyant que Vivian malmène ses gens de la sorte, lui porte un coup formidable de son épieu de frêne ; il lui déchire le haubert et le blesse grièvement, sans cependant lui faire quitter la selle. Sa lance vole en éclats, et fou de joie, il s’écrie :

— Desramé, mon seigneur, où êtes-vous ? Je vous ai débarrassé de Vivian. Le coup que je viens de porter sera ressenti par Aymeric, Guillaume, Guibert-le-roux et toute leur race, qui nous a fait tant de mal.

Vivian l’entendit bien, mais la douleur l’empêcha d’y répondre. Il en fut si malheureux, qu’il pleura à chaudes larmes. Les paroles arrogantes du Sarrasin avaient aussi été entendues par un chevalier du nom de Jehan d’Averne, qui poussa son cheval sur lui et lui brisa sa lance sur le corps ; puis sautant à son épée, il lui en porta sur le heaume un coup qui en fit voler les fleurons et les pierres précieuses ; ni le fer ni le cercle d’or qui l’entourait ne put garantir Cordroan ; il eut la tête fendue et tomba mort à terre.