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le conteur s’attacha de préférence aux impressions que cet événement avait éveillées, et se laissa guider par son imagination pour suppléer à ce qui lui était resté obscur, la tradition naquit.

Cette tradition, sœur jumelle de l’histoire, a donc nécessairement toujours une vérité historique pour base, elle ne diffère de l’histoire elle-même, qu’en tant qu’elle s’occupe de préférence des couleurs sous lesquelles certain événement s’est présenté à l’esprit, plutôt que de cet événement même. En d’autres termes, au rebours l’histoire, dans la tradition, la forme, la disposition du récit, l’emporte sur le fond, qui peu à peu devient un accessoire.

La formation de la tradition est spontanée, et elle ne procède pas d’une œuvre individuelle. M. Édélestand du Méril a admirablement décrit son origine dans ce passage que nous nous plaisons à reproduire[1] :

„Comme un arbre dont les bourgeons s’entr’ouvrent sous les premières brises du printemps et produisent des fleurs dont il ne saurait varier la forme ni nuancer les couleurs, le poëte exprime alors les sentiments qu’il n’est pas plus libre de renfermer dans son âme que de ne point ressentir : organe naïf de la conscience publique, il rend plus complétement que les autres les pensées qu’ils partagent tous avec lui. Ces pensées, communes à une nation entière, ne peuvent rien avoir d’accidentel ni de factice : elles résultent de son histoire elle-même, de la civilisation où elle est arrivée et du pays où elle accomplit sa destinée ; c’est l’expression la plus vive et la plus profonde de son caractère et de sa vie. Toutes les imaginations concourent à ces poëmes sans auteur ; chaque jour la forme s’améliore ; la plus parfaite, c’est-à-dire la plus vraie, finit par s’attacher à la pensée, et toutes deux passent ensemble de bouche en bouche jusqu’à ce que la civilisation ait fait un pas en avant, et que de nouvelles idées, plus jeunes et plus vivantes, les aient dépouillées de leur vérité et de leur importance.”

La tradition ainsi enfantée, parcourt plusieurs phases. De simple qu’elle était à son origine, elle tend à s’arrondir, à devenir plus complexe. La chanson primitive — car il n’est pas nécessaire de démontrer que la forme rhythmique est l’expression la plus naturelle de toute tradition poétique en ces temps de poésie, — la chanson primitive, se mariant à d’autres tableaux du même genre, inspirés, soit par d’autres exploits du héros même, soit

  1. Poésies Populaires Latines, antérieures au XIIe siècle, pag. 1 — 2.