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que dans les dernières années de sa vie sa piété l’engagea à se retirer de temps en temps dans le monastère d’Aniane auprès de son ami l’abbé Benoît ; enfin il embrassa définitivement lui-même l’état monastique et entra en 806 dans son abbaye de Gellone, où il mourut, après avoir acquis un grand renom de sainteté, le 28 Mai 812.

La vie monacale de Guillaume a été racontée par le moine Saint Ardon, son contemporain, et par l’auteur de sa légende latine : on ne s’étonnera pas si la relation des moines est écrite dans un tout autre esprit que le poëme populaire. Tandis qu’ici le fier guerrier franc se révolte à tout moment contre l’esprit d’humilité et d’abnégation chrétienne, et que ses allures toutes mondaines et militaires le font craindre et haïr des religieux de l’abbaye, le contraire a lieu dans le récit du légendaire. Celui-ci raconte comment le comte, une fois qu’il a pris le froc, devient tout d’un coup un autre homme, toujours patient, toujours humble, acceptant les remontrances de tout le monde. „Docebatur, nec confundebatur, corripiebatur, sed non irascebatur ; interdum caesus et injuriis laesus, neque resistebat neque comminabatur.”

Cette différence est fort curieuse, et ce qui est plus curieux encore, c’est la manière dont le jongleur se permet de ridiculiser et de bafouer les gens de religion. Je suis assez de l’avis de M. Dozy que c’est l’esprit du douzième siècle qui s’y fait jour. Cependant le fond du récit date certainement du dixième siècle.




Nous pouvons donc admettre que toutes les branches de l’épopée de Guillaume d’Orange ont, plus ou moins, un fond historique ; que le principal personnage qui a donné lieu à nos chansons est le duc d’Aquitaine du huitième siècle ; que d’autres traditions, sur d’autres personnages du même nom, ont été assimilées au récit des exploits du leude de Charlemagne.

Maintenant il ne sera pas superflu de dire un mot du caractère de la tradition populaire en général.

Dans la jeunesse des nations, lorsqu’un événement important, un fait héroïque ou remarquable, frappait l’imagination, le peuple ému éprouvait le besoin de communiquer ses impressions en racontant le fait historique. L’événement soigneusement observé et raconté simplement, donna naissance au récit historique, à l’histoire. Mais lorsque l’événement fut moins bien observé, ou lorsque