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poitrine ; il voudrait bien être à Paris ou à Sens, et adresse une fervente prière à Dieu pour être préservé de la mort.

Le roi Arragon, s’adressant à eux de nouveau, demanda :

— Depuis quand, seigneurs, avez-vous quitté l’Afrique ?

— Monseigneur, il y a tout juste deux mois.

— Et avez-vous vu le roi Thibaut ?

— Certes, beau sire, à la cité de Vaudon. Quand il nous embrassa en prenant congé de nous, il nous chargea de vous recommander de bien garder sa ville et ses terres. Et sa femme, que fait-elle ? La verrons-nous ?

— Oui, seigneurs, dit le roi, vous la verrez, et vous jugerez si elle n’est pas la plus belle femme qui soit au monde. J’ai bien besoin que mon père vienne à mon secours. Les Français nous prennent nos cités et nos forteresses. C’est Guillaume et ses deux neveux qui en sont cause. Ah ! si je tenais ce Guillaume en ma prison, je le ferais brûler vif et disperser ses cendres et ses os à tous les vents !

Sur cela il demanda l’eau ; on dressa les tables et bientôt les Sarrasins furent assis au dîner. Guillaume et ses compagnons étaient assis auprès d’eux ; mais ils parlaient bas et baissaient la tête : ils avaient peur d’être mis en prison.

Cependant le roi Arragon les fit bien servir ; ils eurent à souhait du pain, du vin, des grues, des oies et de bons paons rôtis, et beaucoup d’autres plats dont je ne parle pas.

Quand le dîner fut terminé, les échansons vinrent ôter les nappes, et les Sarrasins se mirent à jouer aux échecs. Le roi Arragon profita de ce moment pour tirer Guillaume à part ; il le fit asseoir à côté de lui contre un pilier et lui dit tout bas à l’oreille :

— Noble Turc, dis moi la vérité. Quel homme est donc ce Guillaume au court nez qui, par un coup audacieux, s’est rendu maître de Nîmes et nous a tué le roi Harpin et son frère ? Pourquoi ne vous a-t-il pas retenu prisonnier ?

— Je parlerai en toute franchise, répondit Guillaume.