Page:Guillaume d’Orange, le marquis au court nez (trad. Jonckbloet).djvu/172

Cette page a été validée par deux contributeurs.
169

rées ! Il a été bâti par Griffonnet d’Almérie, un Sarrasin merveilleusement doué. Il n’y a fleur au monde qui ne s’y trouve peinte en or et en couleurs naturelles. Mais son plus bel ornement est la reine Orable, l’épouse du roi Thibaut d’Afrique, la plus belle femme de tout l’empire païen. Elle est d’une belle stature, élancée et svelte, blanche comme la fleur de l’épine, avec des yeux brillants comme ceux d’un jeune faucon et dont l’expression est toujours riante. Toutefois c’est de la beauté en pure perte, puisqu’elle ne croit pas en Dieu, le fils de sainte-Marie.

— Par saint Omer ! dit Guillaume, tu la vantes beaucoup. Par la foi que je dois à ma mie ! je ne mangerai de pain de farine, ni de viande salée et ne boirai de vin, avant d’avoir vu comment Orange est bâti. J’irai voir cette tour de marbre et la noble reine Orable, car sachez-le, je l’aime plus que je ne pourrais le dire, à tel point que j’en perdrai la vie, si je ne la possède pas bientôt.

— C’est une folie, reprit l’étranger. Si vous étiez en ce moment dans le château d’Orange, et que vous vissiez ces innombrables Sarrasins, que Dieu me confonde si vous ne penseriez pas qu’il est impossible d’en sortir sain et sauf. Chassez donc cette folle pensée !

Lorsque Guillaume entendit ces paroles empreintes d’effroi, il s’adressa aux chevaliers qui étaient venus avec lui, et leur dit :

— Conseillez-moi, nobles amis. Le fugitif m’a fait un tableau si brillant de la ville… Je n’y ai jamais été et ne connais pas la contrée ; je sais seulement qu’elle est défendue par le Rhône, qui est un fleuve profond et rapide ; sans cela je serais déjà allé donner l’alerte…

— C’est une pensée folle, interrompit le fugitif. Si vous étiez cent mille hommes bien armés pour entreprendre l’attaque, s’il n’y avait devant vous ni rivière ni fossé, et qu’on vous ouvrît les portes toutes grandes, il faudrait encore frapper des milliers de coups d’épée, et bon nombre de vos cheva-