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Il y a peu de jongleurs qui pourraient vous dire cette histoire.

C’était en Mai, au commencement de l’été ; les bois étaient en fleurs et les prés tout verts ; les fleuves coulaient doucement dans leurs lits naturels et les oiseaux chantaient agréablement ; lorsqu’un matin le comte Guillaume se leva et alla écouter la messe à l’église. Après le service divin, il monta au palais du mécréant Otrant, qu’il avait vaincu par son audace, et alla s’accouder à l’une des grandes fenêtres.

Il se mit à contempler le paysage qui se déroulait au-dessous de lui ; il admira l’herbe fraîche et les rosiers dans le pré et prêta l’oreille au chant de l’alouette et du merle. Cela lui rappela les joyeuses journées qu’il avait passées en France. Il appela Bertrand et lui dit :

— Sire neveu, venez ici. Nous sommes sortis de France à cause de notre grande pauvreté ; nous n’en ramenâmes ni jongleurs, ni joueurs de harpe, ni demoiselles pour nous réjouir. Il est vrai, nous avons assez de bons chevaux, frais et dispos, de bons hauberts et de beaux heaumes dorés, des épées tranchantes, de bons écus, de bons épieux, du pain, du vin et des viandes salées ; mais que Dieu confonde les Sarrasins et les Esclavons qui nous laissent dormir et nous reposer, au lieu de passer la mer, afin de nous mettre en état de mesurer nos forces contre eux ! Je m’ennuie à ne rien faire ici, où nous sommes enfermés comme des gens en prison.

C’était bien à tort qu’il se plaint ainsi ; car avant le coucher du soleil il entendra une nouvelle dont il sera aussi courroucé qu’affligé.

Il fut bientôt rejoint par plus de soixante gentilshommes français ; tous portaient des vêtements doublés de blanche hermine, des chausses de soie et des souliers de cuir de Cordoue ; plusieurs d’entr’eux tenaient leurs faucons au vent. Ils regardèrent du côté de l’Orient, où ils entendirent bruire le Rhône, et ils virent sur le chemin un pauvre