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à la renverse. Il déguisa son trouble, et d’une voix câline lui dit :

— Frère Tiacre, qui vous a fait cette grande bosse que vous avez sur le nez ? Répondez-moi franchement, car elle me rappelle le redoutable Guillaume au court-nez, qui m’a tué tant des miens. Plût à Dieu et à Tervagant que je le tinsse en mon pouvoir, comme je vous tiens vous ; il se balancerait bien vite au vent, pendu haut et court, ou il serait brûlé vif, à la honte des siens.

À ces paroles Guillaume rit de bon cœur, et dit au roi :

— Je vous raconterai volontiers l’histoire que vous me demandez. Quand j’étais jeune et sans avoir, je me mis à voler et à tromper les gens. Je devins très-habile à ce métier, et je n’avais pas mon pareil pour couper les bourses et les aumônières bien fermées. Enfin je fus puni par de plus forts que moi ; des marchands que j’avais dévalisés me crevèrent le nez et puis m’abandonnèrent à la grâce de Dieu. Depuis ce temps-là j’ai quitté ce métier, pour choisir celui qui m’a rendu riche, comme vous voyez.

— Tu as bien fait, dit le roi ; la potence n’est pas faite pour toi.

Cependant le sénéchal du roi (il avait nom Barré), ayant à apprêter le dîner, voulut passer à la cuisine pour s’assurer que le feu était allumé ; mais il trouva l’entrée du palais si encombrée qu’il lui fut impossible d’entrer. Cela le mit en colère. Il courut au roi Harpin et lui dit :

— Prince, ce vilain qui est entré dans la ville ne nous cause que de l’embarras ; il nous a tellement encombré l’entrée de votre palais, qu’il est impossible d’y entrer ou d’en sortir. Si vous voulez m’en croire, nous lui jouerons un mauvais tour, puisqu’il refuse de rien donner de ses immenses richesses ni à vous ni à qui que ce soit. Faites tuer ses bœufs, nous les apprêterons pour le dîner.

— Apportez-moi un gros maillet, dit Harpin. On remit au roi un maillet de fer, avec lequel il terrassa Baillet et