Le comte alla prendre congé du roi, qui lui souhaita la bénédiction de Dieu.
— Allez, dit-il, soyez heureux dans vos exploits, et que Dieu vous ramène sain et sauf.
Le comte se mit en route, entouré de plusieurs nobles chevaliers.
Le vieil Aymon, le voyant monter à cheval, dit au roi :
— Ah ! Sire, que vous voilà trompé.
— Comment l’entendez-vous, demanda le roi.
— Je vous le dirai, Sire. Guillaume le guerrier vous quitte, et il emmène avec lui tant de chevaliers, la fleur de la France, dont il vous prive ; si une guerre surgissait, vous ne sauriez vous défendre. Et je pense bien qu’il reviendra à pied, et que tous ses compagnons seront réduits à mendier.
— Vous le calomniez, répondit Louis. Guillaume est un brave chevalier ; il n’y en a pas de meilleur sur terre. Il m’a bien servi, et j’espère bien que le glorieux Jésus l’en récompensera en lui faisant conquérir l’Espagne.
Cette conversation fut entendue par un chevalier appelé Gautier de Toulouse. Lorsqu’il entendit dire du mal de Guillaume, la colère le prit ; et s’élançant hors de la salle, il courut vers le comte et l’arrêta en le saisissant par l’étrier et par la bride de son cheval.
— Monseigneur, lui dit-il, vous êtes un bon chevalier ; mais au palais on ne vous prise pas un denier.
— Qui dit cela ? demanda-t-il, et sa fierté se révolta.
— Il est de mon devoir de ne vous rien cacher. C’est le vieil Aymon, qui veut donner de vous une mauvaise opinion au roi.
— Il le paiera cher, reprit le comte. Si Dieu me fait la grâce de revenir, je lui ferai couper tous les membres, ou il sera pendu ou noyé.
— Ne menacez pas, lui dit Gautier. Tel homme menace qui ne vaut pas un denier. Je vous demande une seule chose ;