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— Seigneur Guillaume, dit Louis, écoutez-moi. Cette terre ne m’appartient pas, je ne puis vous la donner. Elle est au pouvoir des Sarrasins, de Clariel d’Orange et de son frère Acéré, d’Otrant de Nîmes et de plusieurs autres. Le roi Thibaut, qui a épousé la belle Orable, la sœur de l’émir, en est suzerain. Je crains bien que, quand vous les aurez tous sur les bras, vous ne parveniez jamais à vous rendre maître de ce pays. Mais restez dans ce royaume, et je vous en donnerai la moitié ; vous aurez Chartres et me laisserez Orléans et la suzeraineté, c’est tout ce que je demande.

— Non, Sire, je ne veux pas que les barons de ce pays puissent dire, que je vous ai dépouillé de votre bien.

— Noble chevalier, fit le roi, que vous importe un injuste reproche ?

— Je n’en ferai rien, pour tout l’or du monde. Je ne cherche pas à abaisser votre dignité ; au contraire, je voudrais l’augmenter par mon épée ; vous êtes mon seigneur, ainsi je ne dois pas vous faire de tort.

Mais voici ce qui m’est arrivé.

J’ai fait un pélerinage à Saint-Gilles ; un courtois chevalier me donna l’hospitalité ; il me fit dîner et eut soin de ma monture. Après le dîner il monta à cheval pour aller faire une promenade dans les prés avec les gens de sa maison. Je voulais le suivre, mais sa femme mit la main sur les rênes de mon cheval, me fit rentrer mystérieusement dans la maison, et me conduisit à l’étage supérieur. Je n’y compris rien. Elle tomba à mes genoux, et je crus qu’elle me demandait de l’amour. Si j’avais pu l’appréhender, je ne serais pas allé avec elle pour un millier de livres. „Femme, que me veux-tu ?” lui demandai-je. Et elle me répondit : „Pitié, noble chevalier, pour l’amour de Dieu qui se laissa crucifier, ayez pitié de ce pays !” Elle me fit mettre la tête à la fenêtre, et je vis le pays rempli de mécréants brûlant les villes et violant les couvents, ruinant les chapelles et détruisant les clochers, martyrisant les femmes