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le camp, coupant les cordes de ta tente, abattant ton pavillon, mettant la main sur les nappes et jetant à droite et à gauche les plats de ta table. Je vis culbuter ton sénéchal et la garde à ta porte, et toi, tu fuyais à pied, errant dans la foule comme un chien qui a peur, et criant à tue-tête : „Bertrand, Guillaume, venez, secourez-moi.”

Alors, seigneur roi, j’eus pitié de toi ; j’attaquai l’ennemi qui était bien supérieur en nombre, et nous fîmes prisonniers plus de trois cents chevaliers bien montés. Je vis leur chef se cachant derrière un pan de mur. Je le reconnus bien à son heaume resplendissant, à la pierre précieuse qui brillait sur son nasal ; je lui portai un tel coup de ma lance que je l’abattis sur le cou de son cheval. „Grâce,” cria-t-il ; „chevalier, ne me tue pas, si tu es Guillaume !” J’eus pitié de lui, je te l’amenai et depuis tu es maître de Rome. Tu es puissant, et moi je suis peu estimé.

Je t’ai tant servi, que je suis devenu chauve, et je n’y ai pas gagné la valeur d’un denier, je ne suis pas même décemment vêtu....

Louis, Sire, qu’est devenue ta sagesse ! On avait coûtume de dire que j’étais ton ami, que j’étais toujours à cheval, par voie et par chemin pour ton service. Mais que je sois damné, si j’y ai gagné quelque chose, pas même un clou dans mon écu, à moins de compter les coups de lance de mes ennemis. J’ai tué des milliers de Turcs mécréants ; mais par Celui qui trône dans les cieux ! je passerai de leur côté. Tu feras ce que tu voudras, je te retire mon amitié.

Mon Dieu ! j’ai tué tant de braves jeunes gens, j’ai fait pleurer bien des mères, je porterai toujours le fardeau de ce péché, et tout cela pour le service de ce mauvais roi de France, et je n’y ai pas même gagné la valeur d’un fer de lance !

— Seigneur Guillaume, répondit Louis, par l’apôtre saint Pierre ! il y a encore soixante de vos pareils à qui je n’ai rien donné ou rien promis.