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au plafond et retombèrent sur la tête du roi, auquel il adressa avec véhémence ces paroles :

— Dorénavant on comptera pour rien mes services, mes batailles et mes combats singuliers.

Cependant, seigneur roi, as-tu oublié le combat mortel que je livrai pour toi sous les murs de Rome ? C’est là que je combattis l’émir Corsolt, l’homme le plus fort de toute la terre. De son épée il me donna un coup si rude sur le heaume, qu’il en fit voler l’or et les pierreries et me brisa le nasal qui devait garantir la figure. La lame pénétra jusque dans mon nez, que je dus retenir en place de mes deux mains. J’en suis resté défiguré après qu’un chirurgien malhabile me l’eut redressé. Que Dieu le maudisse ! Pour cela l’on m’appelle Guillaume au court nez ; et mes pairs m’ont méprisé pour cette cicatrice.

Je fis abjurer au roi Galaffre ses erreurs, et c’est tout ce que j’y gagnai, sauf le bon cheval du vaincu.

Roi Louis, tu es le fils de l’empereur Charles, le meilleur souverain qui jamais portât les armes, le plus honorable et le plus juste. Eh bien ! te souviens-tu du combat du gué de Pierrelatte, où je fis prisonnier Dagobert, qui ne voulait pas te reconnaître ? Je le vois là-bas, affublé de ses grandes peaux de martre ; s’il nie ce que je viens de dire, que le blâme du mensonge retombe sur moi !

Mais avant ce service je t’en rendis un bien autre. Quand Charlemagne voulut te faire sacrer roi, et que la couronne fut mise sur l’autel, tu n’osas te lever pour l’aller prendre. Les Français virent que tu ne valais guère, et ils voulaient faire de toi un prêtre ou un chanoine ; et dans l’église même de Marie-Madeleine, le comte Ernaut, soutenu par sa puissante famille, voulut s’approprier la couronne. Je m’y opposai ; d’un coup de poing je l’abattis sur la dalle, ce qui m’attira la haine de tous ses parents. Puis je m’avançai, aux yeux de toute la cour, des archevêques et des patriarches, je pris la couronne… et tu l’emportas sur ta tête.