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de vous donner toute sa terre et sa femme, si vous voulez l’épouser.

À ces mots la fureur de Guillaume ne fit qu’augmenter.

— Dieu miséricordieux, fit-il, qu’un pauvre bachelier, qui n’a rien pour soi-même, rien à offrir à autrui, doit attendre longtemps. Il me faut nourrir mon cheval, et je ne sais où prendre la provende. Il a bien du chemin à faire, celui qui attend la richesse de la mort d’autrui !

Sire, la crainte seule que mes pairs ne me tinssent pour traître m’a retenu en votre service. Il y a plus d’un an que le puissant Gaifier, le duc de la Pouille, m’a fait offrir le quart de ses états ou même la moitié, si je voulais épouser sa fille. Et maître d’une province de cette étendue, j’eusse pu guerroyer contre le roi de France.

Ces paroles mirent le roi en grande colère ; il fit une réponse qu’il eût mieux fait de garder pour lui, car elle augmenta le mal en enflammant leur colère réciproque.

— Seigneur Guillaume, fit-il, il n’y a personne au monde, ni Gaifier, ni qui que ce soit, qui osât prendre un de mes hommes à son service bientôt sans être puni par la mort, la prison ou l’exil.

— Dieu, s’écria le comte, qu’on nous traite mal ! On ne nous permet pas même de nous plaindre ! Puissé-je être honni, si je vous sers davantage.

Et s’adressant aux hommes de sa suite,

— Mes amis, dit-il, allez prestement à l’hôtel, faites-vous armer, et chargez les bagages sur les chevaux de somme. L’indignation m’ordonne de quitter la cour. Si nous restions auprès du roi pour notre pain de chaque jour, il pourrait croire qu’il a sur nous un droit.

Aussitôt ses compagnons lui obéirent et quittèrent la salle.

Guillaume, pour être mieux entendu, monta sur une bûche du foyer et s’appuya des coudes sur son arc d’aubier, avec tant de force qu’il se brisa ; les éclats en volèrent