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Le noble comte, voyant tous les siens se mettre en prières, pique des deux et lâche les rênes à son cheval : il brandit sa lance et en frappe le païen au milieu de sa targe. Il en perce la dorure et le bois, rompt les deux hauberts qui ne résistent pas plus qu’un vêtement de soie et lui passe le fer à travers le corps, de manière à pouvoir suspendre une chape à la pointe sortant par derrière. Quand il retira sa lance à lui, le païen ne perdit pas son équilibre, mais il dit entre ses dents :

— Bien fou celui qui méprise un petit homme qui vient vous attaquer. Quand je le vis ce matin en ce pré, je fis peu de cas de sa force, et je commis une folie en lui donnant un tel avantage sur moi. J’en suis bien puni, car jamais personne ne me fit tant de mal.

La douleur lui fit presque perdre connaissance. Cependant il prit un des javelots attachés à sa selle et le lança vers Guillaume avec tant de force que le sifflement ressembla à un coup de foudre. Le comte se jeta de côté et le projectile, brisant son écu, lui rasa le côté et alla se ficher deux pieds en terre.

Le comte inclina sa tête sur sa poitrine et adressa à Dieu une prière fervente, pour qu’il empêchât le Sarrasin de le tuer. Celui-ci lui cria :

— Félon chevalier, tu as beau t’escrimer contre moi, tes armes ne pourront te garantir.

En disant ces mots il tira son épée et en porta un si grand coup au comte, qu’il lui trancha le nasal de son heaume, et en même temps emporta une mèche de ses cheveux ainsi que le bout de son nez. Puis descendant sur l’arçon de la selle, la lame tranchante le coupa en deux ainsi que le cheval. Ce coup fut porté avec tant de force que l’épée vola hors des mains du mécréant.

Le comte Guillaume se relève et tire Joyeuse, son épée : il espère en porter un coup sur le heaume de son adversaire, mais celui-ci est si grand qu’il ne peut y atteindre.