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OEUVRES APOCRYPHES ; PIÈCES PERDUES IX

lations », le fait que Guillaume récitait lui-même ces vers prouve qu’il s’agit ici, non d’une sorte de chanson de geste, comme on l'a cru parfois1, mais d’une poésie de courte baleine, lyrique de forme, quoique narrative par le contenu, assez analogue sans doute à notre pièce V.

On a souvent cité le passage où Guillaume de Malmesbury prétend que le comte de Poitiers avait eu l’idée, aussi extravagante que scandaleuse, de fonder à Niort, sur le modèle des monastères de Chartreux, certaine « abbatiam pellicum ». M. Rajna a fort bien montré 2 que le chroniqueur avait pris pour une réalité une fantaisie de poète, et que nous avons là simplement une allusion à une pièce perdue, qui, contenant des noms propres, put bien en son temps causer quelque scandale.

Je me demande si ce n’est pas de la même façon qu’il faut interpréter deux autres passages très analogues. Le même historien raconte que Guillaume avait fait peindre sur son bouclier l’image d’une vicomtesse, sa concubine, « perinde dictitans se illam velle ferre in praeito, sicut illa portabat eum in triclinio ». Je ne pense pas que Guillaume, malgré le sans-gêne de sa conduite, ait osé pousser le cynisme jusqu’à arborer sur ses armes le portrait d’une femme de qualité, enlevée à son légitime époux ; l’idée a pu être exprimée au contraire dans une de ces facétieuses gasconnades comme nous en avons gardé quelques-unes ; et l’antithèse même dont le chroniqueur nous a conservé le souvenir ne fournissait-elle pas à une pièce de ce genre un trait final tout à fait réussi ?

M. Chabaneau a conjecturé avec vraisemblances que notre Guillaume pourrait bien être le héros d’une anecdote racontée par Etienne de Bourbon, au sujet d’un certain comte de Poitiers, lequel, s’étant déguisé pour faire différents métiers et en comparer les agréments, aurait fini par donner la palme à celui des marchands fréquentant les foires, « qui intrant tabernas, in quibus inveniunt promptas et

1. Millot, op. cit., p. 16. M. Sachse (p. 21 n.) rappelle que Guillaume n’a pas été fait prisonnier et veut prendre captivitas au sens moderne (a. fr. chaitiveté), comme synonyme de miserias. Mais il se peut que le chroniqueur n’ait eu de la pièce en question qu’une connaissance assez vague.

2.Romania, VI, 249 ss. ; cf. Chabaneau, op. cit., p. 7. 3. Revue des langues romanes, XXIII, 98.

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