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brèrent à l’envi la libératrice de la France. Mais la tâche du tragique était de beaucoup la plus difficile, et c’était une entreprise plus hardie qu’on ne pourrait le croire que de transporter au théâtre cette vie qui n’avait été, ce semble, qu’une longue et terrible tragédie. Schiller, le Shaskspeare de l’Allemagne, avait ouvert cette voie dès 1801, par un drame de Jeanne d’Arc, qui l’avait fait porter en triomphe à Leipzig, et dont quelques stances, brûlantes de patriotisme et d’harmonie guerrière, devaient être et furent la Marseillaise de la jeune Allemagne en 1812. Mais Schiller, en présence d’un peuple où la sève ardente de l’imagination ne s’était assujettie, pour ainsi dire, à aucune culture, devant des écoles qui en étaient encore à l’âge de l’érudition, pouvait ignorer ou fouler aux pieds ce que les nations d’un goût plus sévère ont nommé les règles de l’art ; aux yeux d’un peuple étranger, il pouvait disposer de l’histoire à son gré. Aussi ne se fait-il faute ni de l’une ni de l’autre licence. Il prend Jeanne d’Arc à Domremi au milieu de ses montagnes et de ses troupeaux ; il la conduit à Chinon, à la cour du roi Charles VII, pour en voir les divisions et la misère, et y faire reconnaître sa mission. Bientôt la scène devient un champ de bataille où la Pucelle triomphe des héros anglais par le fer et du duc de Bourgogne par sa parole mystique. Au deuxième acte, nous retrouvons la cour à Châlons-sur-Marne ; Dunois et Lahire se disputent le cœur et la main de l’héroïne ; elle se réserve pour Dieu ; et tout à coup, dans un nouveau combat, elle devient éprise d’un capitaine ennemi qu’elle allait immoler. Dès ce moment le charme qui l’animait paraît rompu : elle n’assiste au sacre de Rheims que malgré elle ; ses sœurs ne peuvent la rassurer ; son père l’accuse ; elle fuit ; elle tombe au pouvoir des Anglais. Charles VII vient avec son armée pour la délivrer ; elle s’élance hors de sa prison, et meurt en combattant au milieu de ses défenseurs.

Comme on le voit, la poésie n’a jamais peut-être dénaturé les faits plus audacieusement, qu’en présentant Jeanne d’Arc amoureuse, et amoureuse d’un anglais, Charles VII amenant une armée pour la sauver, lui dont l’ingrate indifférence n’est pas moins célèbre que la constante fidélité de sa libératrice ; et cette mort enfin, reçue au champ de bataille, et non sur l’infâme bûcher, dont toute la honte est pour les bourreaux.