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autre antagoniste, les ennemis acharnés de Jeanne escamotent (c’est le mot énergique et vrai du feuilletoniste des Débats), escamotent l’ordre de sa mort, et l’exécutent : Dunois alors « vole aux combats ; » c’est par là qu’il aurait dû commencer.

Malgré ces graves défauts, le nom de Jeanne d’Arc qui décorait pour la première fois une scène française, la haine de l’étranger si flagrante au sortir de l’occupation, quelques belles scènes et d’assez beaux vers, firent à la pièce de M. d’Avrigny un succès à peine contesté dès le début, mais qui eut peu de durée.

En 1825, M. A. Soumet fit représenter une nouvelle Jeanne d’Arc, et ne craignit pas de suivre un plan analogue, sinon semblable à celui de son devancier. Toutefois il s’assura le facile avantage de mettre son héroïne en scène dès l’origine du drame ; mais s’il y gagnait quelque intérêt immédiat, il n’en parut que plus lent dans sa marche générale. M. Soumet, se rapprochant encore plus de l’histoire que M. d’Avrigny, fait passer sous nos yeux en trois actes tout le procès de la Pucelle ; il lui fournit un avocat dévoué ; il réunit autour de la bergère de Domremi son vieux père et ses sœurs, pour la défendre, la consoler, la pleurer : mais sentant bien que les paroles et les larmes sont d’un faible secours en présence de la haine et de la violence, et voulant se passer de toute intervention extérieure, M. Soumet cherche un champion armé à la cour même de Bedford : il emprunte au poëte allemand la magnifique scène où le duc de Bourgogne, venu pour entraîner Jeanne dans son parti, est au contraire entraîné lui-même par l’ascendant mystérieux de la vierge guerrière et rendu par elle à la France et à son roi. Dès ce moment, le duc met son glaive dans la balance, et l’action reprend quelque vie : il est vaincu, le bûcher se dresse sur le théâtre, et la toile seule nous en dérobe les flammes.

Mais ni cet appareil saisissant, ni l’animation des deux derniers actes, ni le style toujours si élégant, si pur, si harmonieux de M. Soumet ne peuvent racheter la langueur de ses trois premiers actes.

Peut-être aussi ne peut-on accueillir que froidement une pièce où l’infâme Bedford joue un rôle de compassion et de respect pour l’infortune, tandis que le peuple, le peuple de Rouen,