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Ouvre son aile et plane universellement.
Mais soudain, dominant la plaine sépulcrale,
Surgit, brusque et livide, une forme spectrale.
Un vieillard est debout. L’impérissable Aïeul,
L’antique Adam se lève, et, telle qu’un linceul
Qui se déchire au vent et par lambeaux frissonne,
La neige autour de lui s’écarte et tourbillonne.
Et l’Ancêtre, parmi les cadavres pressés
De ses fils, est muet et songe aux jours passés.
Lui seul, le Premier-né des temps qui cessent d’être,
Regarde enfin mourir le globe qu’il vit naître
Et l’astre qui dora sa jeune floraison
Sombrer comme une épave au suprême horizon.
Les siècles en croulant par milliers sur sa tête
N’ont point courbé son front ; la flamme et la tempête
Ont glissé sur l’airain de sa poitrine ; altier,
Invincible, immortel, farouche, tout entier,
Comme un cèdre robuste épargné par la foudre,
Sur l’amas des cités et des mondes en poudre
Il est debout.

                       Espoirs, remords, appels déçus,
Cris d’orgueil et d’effroi vers les cieux aperçus
Comme l’Éden fermé, dans un lointain magique,
Ont empli de leurs bruits son oreille tragique,
Et les siècles vivants ont dans son cœur amer,
Sans trêve, flot par flot, versé toute la mer
De la douleur terrestre et de l’angoisse humaine.