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L’ascète avait parlé. Morne et silencieuse,
La foule, méditant la voix mystérieuse,
Vague et dernier écho d’un abîme inconnu,
Regardait Kalanos debout, tremblant et nu,
La coupe ronde en main, asperger d’une eau pure
Son corps émacié que la mort transfigure,
D’un fer rapide et froid trancher, selon les vœux,
Une mèche d’argent parmi ses blancs cheveux,
Et, grave observateur des rites funéraires,
D’un geste suppliant l’offrir aux Dieux contraires.
Tandis que sur sa lèvre en un souffle léger
L’abeille des Védas semble encor voltiger,
Il s’agenouille ; il chante ; une extase dernière
Fait sur sa bouche ouverte hésiter la prière ;
Et, tournant son visage au soleil matinal,
Kalanos de la main jette un joyeux signal.

Les torches de résine aux quatre angles brandies
Font autour du bûcher courir quatre incendies.
La flamme obscure, lourde et rampant tout d’abord,
Lèche le bois rugueux, l’étreint, siffle, se tord
Comme un serpent marbré dans d’humides broussailles.
La fumée à grands flots s’échappe des entrailles
Du brasier, s’étend, roule, et de ses tourbillons
Le feu dévorateur jaillit.

                                        D’ardents sillons
De bitume embrasé rongent les palissades.