Page:Guerne - Les Siècles morts, II, 1893.djvu/140

Cette page n’a pas encore été corrigée


Ne dis pas : — Aujourd’hui la peine est inutile,
Mon bien suffit. — Qui sait ? demain ton champ fertile
          Sera désert et dévasté.
Heureux, tu vis sans croire aux jours de l’infortune ;
Mais le bonheur passé te blesse et t’importune
          Aux heures de l’adversité.

Redoute le puissant : sa gloire est ta dépouille.
Fuis l’impie et le riche, enfant ! La main se souille
          Qui touche à la gluante poix.
Ne tente pas, mon fils, humble coupe fragile,
Au lourd vase d’airain d’opposer ton argile
          Et ton flanc grêle à tout son poids.

Mieux vaut loin des banquets manger un pain modeste ;
Mais si, roi du festin, tu sièges sans conteste,
          Vieillard, au trône du milieu,
Ne fais pas avant l’heure éteindre un lampadaire,
Ne trouble pas la joie et les chants ; considère
          Que l’allégresse vient de Dieu.

Qui boit un vin prudent, ô jeune homme, est sans blâme.
Le vin, propice au corps, vivant, allégeant L’âme,
          Prépare des songes dorés,
Mais si l’ivresse chaude et mère des blessures
Fait trébucher ton pied sur les portes obscures,
          Sois chassé des seuils honorés !