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Et tes adolescents, la tête rase, imberbes,
Vêtus de laine fine et de colliers massifs,
Pleurant leurs désirs morts sous les palmiers superbes,
Solitaires, errer comme des chiens lascifs.

Le désert se soulève et bout. Le vent d’orage
Court en noirs tourbillons sur le sable enflammé :
L’ombre croît, et Babel comme dans un mirage
Disparaît tout à coup de l’horizon fermé.

Hélas ! Elle n’est plus, la Cité des merveilles,
La Ville chère encore à mon orgueil royal,
Celle que je voyais florissante en mes veilles
Et plus riche que Zour où règne Itthobaal.

Les rameurs se hâtant sur les deux bords du fleuve
Ne débarqueront plus l’orge ni le froment.
Le lit mystique est vide où la prêtresse veuve
N’ouvrira plus ses bras à son rapide amant.

Tout s’est évanoui dans l’obscurité morne ;
La nuit qui monte emplit mon palais déserté,
Et les aveugles Dieux ont abattu ma corne
Et le trône sans gloire où gît ma Royauté.

Et moi, comme un captif sous le fouet qui déchire,
Nabou-koudour-ousour, moi le Roi, le Seigneur
Des nations, je fuis, je tombe, et mon Empire
Est comme un champ qu’on fauche et bon pour le glaneur.