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LA LAMENTATION D’IŠTAR

Et les anneaux d’argent qui sonnaient sur ma jambe,
Craquaient comme un bois sec dans un bûcher qui flambe.
Mais plus proche, en passant, enfin j’apercevais
L’immensité de l’ombre et du Pays mauvais,
Déjà la morne Allât m’attendait dans son antre,
Quand, près du dernier seuil, se fendit sur mon ventre
L’invisible tissu qui voilait ma pudeur.

Ô Palais de l’Aral ! Antique profondeur,
Funèbre sanctuaire où ma sœur infidèle
M’abreuva d’amertume et m’enchaîna près d’Elle !
Ô gouffre, où j’égarai mes pas irrésolus
En appelant Douzi de mes cris superflus !
Longs mois, où le taureau muet, sans force et lâche,
Paissait une herbe rare en oubliant la vache ;
Où l’époux dédaigneux, inutile et glacé,
Fuyait la froide épouse et le lit renversé ;
Où rien ne germait plus ; où frémissait à peine,
Au fond du cœur séché de la famille humaine,
L’inerte souvenir des vieilles voluptés !
Et la vie expirait. Les Dieux déshérités
Pleuraient Ištar captive et sa beauté perdue.
Šamaš disparaissait ; l’éclipse inattendue
Déchirait dans la nuit la lune par morceaux,
Et les Dieux inquiets, vers le Seigneur des Eaux
Levant leurs yeux troublés, interrogeaient l’Ancêtre.
Mais lui, l’antique Ea songeait : — Je ferai naître
L’Esprit libérateur, le clair Ouddoušnamir.
J’enverrai vers Ištar et la ferai sortir.