Page:Guerne - Les Siècles morts, I, 1890.djvu/53

Cette page n’a pas encore été corrigée
33
LA LAMENTATION D’IŠTAR

Le Fils de mon amour buvait les Eaux fécondes.
Douzi ! Douzi ! le Sort a desséché les ondes,
Et l’hiver meurtrier ouvrit devant tes pas
La porte du Pays d’où l’on ne revient pas.
Allât, ma sœur jalouse, a tiré la barrière
De l’enceinte immuable où s’éteint la lumière.
Le gouffre t’engloutit et la nuit t’aveugla
Au seuil de la Maison qu’habitait Irqalla,
Où, tels que des oiseaux vêtus d’immondes plumes,
Tous les morts, abreuvés de fétides écumes,
Mâchent la boue infecte et les fangeux limons ;
Où le sable enflammé corrode les poumons ;
Où sans trêve, pareil à l’ouragan funeste,
Un vent empoisonné souffle en semant la Peste.

Comme une louve errante au fond des bois déserts
Cherche le loup blessé, court et remplit les airs
Et les halliers sanglants d’un hurlement sauvage,
Telle j’épouvantais du cri de mon veuvage
L’horizon de la terre et l’horizon des cieux.
Tel, plus ardent encore, en mon cœur anxieux,
Brûlait le vain bûcher de mon amour terrible.
Telle la volupté farouche, inextinguible,
Malgré le deuil nouveau, mordait mes flancs sacrés.
Et j’aspirais au loin dans les vents altérés,
Comme un acre parfum, l’exhalaison des mâles ;
Et j’écoutais hennir et répondre aux cavales
Les étalons cabrés qui, s’avançant par bonds,
Battaient l’espace heureux de leurs pieds vagabonds.