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La horde, au flanc d’un mont que seul foule, ravage
Et creuse le sabot du bétail vagabond,
En un sentier abrupt, fermé d’un roc sauvage,
Abandonne l’Enfant et disparaît d’un bond.

Soudain, chassant la neige ainsi qu’une avalanche,
Aveuglé de terreur, fou de rage et de faim,
D’un formidable choc heurtant la paroi blanche,
Un lourd troupeau de bœufs roule au long du ravin.

Leur masse bousculée, incessamment accrue,
Descend, se précipite et s’écrase et mugit
Et, plus compacte encore, à bonds pressés se rue
Vers l’unique chemin qu’un sang visqueux rougit.

Mais voici que bondit par-dessus la mêlée
Un taureau gigantesque, à l’œil tranquille et fier,
Qui fronce avec orgueil sa robe immaculée
Et pointe en s’arrêtant ses deux cornes de fer.

Immobile, il oppose à la troupe hagarde
Son poitrail vigoureux, comme un rempart, défend
D’un mur massif la route infranchissable, et garde
Entre ses quatre pieds le sommeil de l’Enfant.

Et le troupeau meurtri, parmi les rochers lisses,
Recule, fuit, s’abat, tombe en amas sanglants.
Un beuglement funèbre emplit les précipices ;
Et le Taureau divin gonfla ses larges flancs.