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Ma barque obéissante a bondi loin des côtes,
Ouvrant sa voile rouge au vent qui la gonflait !
Jamais l’oiseau captif, échappé du filet,
N’a fui sous le ciel pur d’une aile aussi rapide.
Salut ! Roi de la mer, mon gaoul intrépide,
Terreur des ennemis, orgueil de nos comptoirs,
Semblait une île énorme, aux flancs larges et noirs,
Qui voguait, emportant dans sa masse profonde
La royauté de Zour jusqu’aux bornes du monde.

Sous des cieux ignorés et des climats divers,
Combien de lourds étés, ô Dieux, combien d’hivers,
Ont brûlé mon visage et corrodé ma face ?
Que de guerriers surpris ont sombré sur ma trace,
Quand, malgré l’alliance et les serments jurés,
Je fuyais, entraînant aux vaisseaux amarrés
Le troupeau prisonnier des enfants et des femmes !
Combien, nageant encor, tués à coups de rames,
Percés de traits, le crâne et les membres béants,
Ont d’un sang méprisé rougi les océans !
J’ai vu les blancs rochers et les gorges barbares
Où les fils de Thoubal forgent en longues barres
Le fer solide ; où l’eau des fleuves va mêlant
Une poussière d’or au sable étincelant.
J’ai vu des caps déserts ; j’ai vu des races viles,
Errantes aux forêts, sans temples et sans villes,
Des hommes rouges, noirs, et d’autres aux poils blonds
Dont les cheveux tressés tombaient jusqu’aux talons.
Et le premier, longeant les côtes innommées,