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Les étoiles d’argent tremblent en reflets vagues ;
Et les derniers vaisseaux, sous le suprême effort
Des rameurs flagellés, se bâtent vers le port
Que des chaînes de fer barrent au crépuscule.
Et l’horizon s’efface et la nuit s’accumule,
Et le ciel étoile berce les Dieux connus.
Mais soudain le vieillard se lève ; ses bras nus
S’agitent. Il murmure et blasphème et chancelle.
Le flot intérieur de ses larmes ruisselle
Sur son nez recourbé comme un bec de vautour.
Il déchire sa robe, arrache tour à tour
Ses cheveux et les poils de sa barbe souillée,
Sanglote, et prolongeant l’inutile veillée,
Exhale avec ses cris son désespoir sans fin :

— O Baalim vengeurs ! ô Dieux priés en vain,
Je vous supplie, ô Dieux favorables ! O Maîtres !
O toi, Baal-Tammouz, Adôn, Seigneur des êtres !
Dévorateur suprême, ô Roi Baal-Molok,
Dont la statue ardente, au centre de son bloc,
Ouvre un portail d’airain d’où jaillit la fournaise !
Dieux Patèques, chargeant de votre corps obèse
L’avant peint et sculpté de mes vaisseaux perdus !
Trois gaouls, ô douleur ! trois gaouls attendus
Dont le regret m’accable et ronge ma vieillesse,
Eux que mon rêve, hélas ! apercevait sans cesse
Doublant la digue énorme après tant de longs mois !
Ecoutez, ô Seigneurs de l’Abîme ! Ils sont trois
Qui, partis au printemps de la sixième année