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vieil Abd-Eschmoun, immobile et sévère,
N’entend et ne voit rien. Sous le sourcil froncé,
Son œil, à l’horizon obstinément fixé,
Interroge la mer de l’aube à la nuit close.
En vain derrière lui l’esclave noir dispose
Le chevreau cuit à point, le vin habituel,
L’huile, les poissons frits et les gâteaux de miel :
Abd-Eschmoun inquiet ne tourne pas la tête.
Vainement l’étranger passe, revient, s’arrête,
Compte et pèse en sa main le poids d’or de l’achat,
Regarde avec lenteur les vierges d’Élischah,
Qui, près du mur, debout sur les tréteaux de planches,
De leurs cheveux épars voilent leurs gorges blanches :
Abd-Eschmoun n’entend plus tinter les schéqels d’or.
Qu’importent la richesse ancienne et le trésor,
Et le secret amas des chambres précieuses,
Lourds tapis de Babel et tuniques soyeuses,
Lapis bleus, diamants d’Ophir, rubis taillés,
Bracelets, colliers d’ambre et joyaux émaillés,
Pectoraux féminins à la forme bombée
Où, parmi les lotus, brille le scarabée ?
Abd-Eschmoun n’en sait plus le nombre ni le prix.
Il ne sait plus tromper le voyageur surpris
Et, près du papyrus, sur une dalle noire,
Abandonne à ses pieds la pointe et l’écritoire.

Mais déjà le soleil décroît à l’occident,
Déjà la lune émerge au fond du ciel ardent,
Et déjà sur la mer, à la crête des vagues,