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Parmi les oliviers, les figuiers, lourds de figues,
En nappes de cristal couler entre ses digues ;
Et mes troupeaux au loin qui soulèvent les flots
D’une immense poussière en rentrant aux enclos.
Et j’accumulerai l’épargne des provinces,
La richesse des Rois et le trésor des Princes
Et le bien des Puissants, en des coffres de fer.
De baume et d’huile rare ayant baigné ma chair,
Je bercerai mon rêve à la voix des chanteuses,
Et, comme au cœur ouvert des grenades juteuses,
Aux lèvres, à ma bouche offertes tour à tour,
Je puiserai la joie et l’ivresse et l’amour.
Tandis que, déroulant leurs écharpes légères,
Attendront à mes pieds les vierges étrangères. —
Or voici : J’ai bâti des temples, des maisons ;
J’ai fendu les rochers ; j’ai tiré des prisons,
Pour les ensevelir vivants dans les carrières,
Cent vingt mille captifs, équarrissant des pierres
A la vague lueur des torches. Mes jardins
Ont fleuri ; les canaux, lâchés en jets soudains,
D’une odorante pluie ont embaumé la terre ;
J’enrichis mon trésor ; le trône héréditaire,
Je l’ai fait croître ainsi qu’un cèdre au Libanon ;
Et les peuples, muets au seul bruit de mon nom,
Les peuples anxieux ont entendu naguère
Sur la face du monde errer mes chars de guerre.
Alors ayant pesé ma peine et mon profit,
Voici ce que j’ai vu : Malheur ! Rien ne suffit
A peupler le désert où l’humanité souffre.