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La boue et la sueur souillent sa barbe impure ;
Ses yeux creux sont ardents, et dans sa chevelure
Où se mêlent la ronce et les dards acérés,
Le sang coule et se fige en caillots empourprés.
Il voit l’enclos offert a son effort suprême ;
Et, comme un suppliant, épouvantable et blême,
Il se traîne à genoux et, défaillant d’effroi,
Dit : — Par tes Élohim, ô femme, sauve-moi ! —
Iaël dit : — Ne crains rien. Que mon Seigneur pénètre
Dans la tente interdite où je l’accueille en maître. —
Sisera dit : — J’ai soif. — Et tandis qu’il parlait,
Vers ses lèvres Iaël pencha l’outre de lait,
Disant : — Que mon Seigneur boive et se désaltère. —
Sisera dit : — Défends la tente solitaire. —
Et Iaël répondit : — Seigneur, j’attesterai
Par le nom de mon Dieu que tu n’es pas entré.
Dors ! — Et dans un manteau de laine épaisse et teinte
Le chef Kenanéen s’étendit, et sans crainte,
A l’abri des serments par deux fois répétés,
S’endormit. Et Iaël veillait à ses côtés.

Le jour tombait. Le bruit lointain de la mêlée
S’apaisait et mourait dans la nuit étoilée.
Les troupeaux de Héber, réunis à l’entour
Des enclos, vers les puits se pressaient à leur tour,
Tandis que, les crins droits, hennissaient les cavales.
Mais dans la tente obscure, Iaël, par intervalles,
Ecoutait s’épaissir le souffle du dormeur.
Puis tout se tut, appels des pâtres et rumeur