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Jamais, brûlé d’amour, mon cœur lascif et prompt
D’un aveugle désir n’a fait rougir mon front.
Craignant les vils baisers et l’acte volontaire
Et le vice et l’opprobre et la couche adultère,
Jamais, au souvenir de mes péchés enfuis,
Le remords de mes jours n’a dévoré mes nuits.

Mais bon parmi les bons, sage parmi les sages,
Je n’éloignerai pas mon cœur de vos visages,
O Dieux, ô Justiciers, ô morne Sokari !
La Vérité, le Bien, la Science ont nourri
De leurs sucs précieux mon âme et ma pensée.
Je revis dans l’éclat de ma vertu passée,
Tel qu’un astre du soir qui monte à l’occident.
Le pauvre est mon appui, l’humble mon répondant ;
Car domptant le rebelle et brisant l’indocile,
J’ouvrais aux délaissés mes bras comme un asile.
J’étais le pied du faible et le manteau des nus,
Et lorsque dans les pleurs je les avais connus,
Les affligés, riant, espéraient dans l’épreuve.
J’étais l’épaule ferme où s’appuyait la veuve,
Le manteau du vieillard, le vase toujours plein
Du lait renouvelé que buvait l’orphelin,
Le foyer de la salle hospitalière et chaude
Où s’étendait, la nuit, le voyageur qui rôde,
Las et transi de froid, auprès des murs fermés.
Intarissablement aux mains des affamés
Le blé de mes greniers ruisselait comme une onde.
Le Fleuve était