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les flûtes alternées

Ait l’immobilité profonde de la borne
Qu’érige un laboureur à l’angle de son champ.
Qu’il soit comme le lierre à la tour s’attachant,
Fidèle comme vous au jardin séculaire,
Termes ! comme une haute et tranquille galère
A l’ancre pour toujours dans le havre espéré !
Puisque j’ai vu fleurir sur un front adoré
Cette fière beauté que l’amour éternise,
Ô ciel ! puisqu’il est vrai que mon âme agonise
Lorsque les yeux que j’aime, un instant pleins d’émoi,
Dieux dont je suis jaloux ! se détournent de moi ;
Puisqu’une fois l’aveu, murmuré dans la fièvre,
En un baiser muet s’acheva sur sa lèvre,
Nulle autre n’entendra les mots qu’elle entendit.
Et j’ai dit : — Que les ans s’arrêtent ! — Et j’ai dit :
— La faulx du temps s’ébrèche à cette heure immortelle.
Le doux nom qu’en tremblant j’ai gravé sur la stèle
S’effacera ; les champs oubliés seront verts,
Diaprés, fleuris, blancs de neige, et les hivers
Arracheront la feuille aux sinistres ramures,
Et les fleuves figés tariront leurs murmures
Sans que rien ne se fane en mes yeux ni mon cœur.
Comme un astre vivant, le souvenir vainqueur
Luira dans l’ombre chaste où décroîtra ma vie.