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la pitié de l’amour

Aimons ! Mais de nos cœurs, de nos yeux, de nos mains
Laissons à larges flots couler sur les humains
Le baume inépuisé des pitiés secourables.
Être les seuls heureux parmi les misérables,
Ô crime involontaire et jamais racheté
Par assez de douceur, de larmes, de bonté !

Ô bien-aimée ! alors que notre âme profonde
S’ouvre et s’épanouit au soleil qui l’inonde,
Humbles et pardonnés, penchons-nous vers la nuit,
Et pensons gravement, à l’heure où le jour fuit,
Aux martyrs de la vie, aux vaincus de l’épreuve,
À l’orphelin sans gîte, au vieillard, à la veuve
Dont les doigts alourdis guident en vain le fil,
Au proscrit qui médite et pleure dans l’exil,
À la vierge qui lutte et qu’un soir la débauche
Pour l’œuvre inavouable et mercenaire embauche,
À ceux qui n’ont point vu, dès l’enfance, au foyer,
Une mère aux doux yeux de leurs jeux s’égayer,
Et surtout, — oh ! surtout penchons sur eux notre âme ! —
À ceux-là qui, livrés à l’ignorance infâme,
Sans lueur sur le front, sans amour, sans flambeau,
Ont descendu vivants les marches du tombeau.