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les flûtes alternées

À la chaleur du nid lorsque d’autres ont froid,
À la coupe fumante où nos lèvres avides
S’enivrent, quand la soif brûle des bouches vides ?
Pourquoi tressaillons-nous quand nous croisons, le soir,
Une femme aux pieds nus qui sort du hallier noir,
Courbée et gémissant sous la ramée humide ?
Pourquoi le mendiant que le jour intimide,
L’humble vieillard qui prie, accroupi sous l’auvent,
Se dresse-t-il parfois comme un remords vivant ?
Dans la chambre amoureuse, auprès de la fenêtre,
Nous accueillons, joyeux, le rayon qui pénètre
Comme un blond messager du firmament venu ;
Et nous songeons soudain au bouge obscur et nu,
À l’âtre abandonné qui meurt dans la chaumière,
À la morne prison, sans air et sans lumière,
Aux souterrains muets, au bagne, au cabanon,
Où le crime et la faim portent le même nom,
Aux furtives amours dans les viles auberges,
Aux baisers furieux volés dans l’ombre aux vierges.

Aimons ! Mais inclinés sur les maux fraternels,
De l’angoisse terrestre entendons les appels,
Ainsi que les pasteurs, sur les cimes dorées,
Prêtent l’oreille aux voix des brebis égarées.