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la pitié de l’amour

Aimons, soyons heureux !

Mais je tremble parfois
Et j’hésite et je songe et j’ai peur quand je vois
Tant de clarté soudaine illuminer nos âmes.
Les pleurs qu’à nos baisers aujourd’hui nous mêlâmes
Sont peut-être la source amère d’autres pleurs.
On oublie en aimant que la nuit monte ailleurs ;
On ne sait plus que l’homme agonise et succombe,
Que la voie où l’on marche aboutit à la tombe,
Que plus on est épris, ivre, ardent, éclatant,
Plus la chute est profonde et plus bref est l’instant.
À force de planer on ne voit plus dans l’ombre
La pâle humanité qui se débat et sombre
Dans le flot débordant des maux toujours accrus ;
On suit des yeux là-haut des astres apparus
Et l’on n’aperçoit plus, de la cime étoilée,
L’obscure foule errante au fond de la vallée.

Qui le sait ? Qui le sait ? Peut-être en nous aimant
Offensons-nous le ciel par notre isolement ?
Peut-être notre joie, hélas ! est-elle impie,
Et faut-il, ô terreur ! que tout bonheur s’expie ?
Nous rions, nous chantons, ô doute ! Avons-nous droit