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à celle qui est triste

L’esclave à notre char jette l’insulte infâme.
Vous qui fûtes joyeuse et radieuse, ô femme !
Les larmes en vos yeux ont le scintillement
Des étoiles d’hiver dans le froid firmament.
Vous souffrez ; et ma main sent votre main qui tremble.
Le fil de votre vie, hélas ! s’allonge et semble
Dans l’ombre qui descend toucher aux ciseaux noirs.
Et je vois tour à tour tomber tous vos espoirs
Comme des fruits trop mûrs dans les vergers d’automne.
Et vous voici, suivant le chemin monotone
De celles qui s’en vont en jetant un par un
Les morceaux dédaignés des urnes sans parfum.
Car vous espériez trop de nos instants funèbres :
Entendre votre nom parmi les noms célèbres
Vibrer comme une lyre au milieu des roseaux
Qu’un souffle harmonieux fait chanter près des eaux ;
Sentir à vos côtés, à vos pieds, dans votre ombre,
Une pensée active, étincelante ou sombre,
Poursuivre son sillon, semer le grain futur
Dont la gloire eût été l’épi splendide et pur ;
Éterniser l’amour dans un cœur éphémère ;
C’était vous cramponner aux crins de la Chimère,
Amie ! et vous enfuir vers de trop hauts sommets
Pour n’en point retomber pâle et triste à jamais.