Page:Guerne - Les Flûtes alternées, 1900.djvu/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
98
les flûtes alternées

Lorsque les flots, gonflés de haine et de colère,
Poussent éperdument le vaisseau séculaire
Vers la rive brumeuse et les obscurs rochers,
Lorsqu’on vous voit à peine, en la nuit, ô nochers !
Étreindre la suprême et formidable épave,
Lorsque l’heure est si pleine et si sombre et si grave,
Je cherche dans tes vers l’écho rude et vivant
De la tempête humaine et du sinistre vent,
Ô Poète ! On combat, on pleure, on saigne, on souffre,
On tombe ; on a faim, soif, et froid ; l’énorme gouffre
Attire l’homme. Ciel, enfer ? Il ne sait pas ;
Il vit et meurt. Et toi, n’entends-tu point les pas
De l’irrassatiable et tragique rôdeuse ?
Ton œuvre à la souffrance, en son ombre hideuse,
Chante-t-elle à mi-voix l’hymne de la pitié ?
A-t-elle un mot d’espoir pour l’homme châtié
Que l’expiation rend parfois vénérable ?
Ton ivresse peut-être offense un misérable ;
Et tu passes joyeux, mais aveugle, riant,
Égrenant des chansons, mais vainement bruyant,
Amant, mais non pas homme.

Aime ! Mais pense, écoute