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amor

Et tout est si joyeux, si paisible, si doux,
Tant de sérénité grave descend en nous
Que le désir vaincu s’abolit dans nos rêves.
Le temps religieux suspend les heures brèves ;
Et nous ne savons plus même, tant nous aimons,
Si l’étoile, apparue au faîte obscur des monts,
Est l’étoile du soir ou celle de l’aurore.

Nous sommes les amants éternels et j’adore
L’immortelle beauté dans ta beauté d’un jour.
L’âme du monde éclôt en nos âmes. L’amour
Qui sur nos fronts unis ouvre son envergure,
Astre, nous éblouit, esprit, nous transfigure.
À force d’être heureux nous devenons meilleurs,
Et nous sentons soudain à nos brusques pâleurs,
À nos communs frissons, à nos pleurs, à nos craintes,
Au tremblement pieux de nos voix presque éteintes,
Au souffle qui nous glace ou brûle de son feu,
Que nos cœurs surhumains sont les temples d’un dieu.