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ô vingt ans printaniers !…

La torpeur de midi berce la terre et gagne
Les oiseaux dans les bois, les agneaux dans les prés.
Mais lui, l’aigle sublime, ami des pics sacrés,
Conquérant de l’azur, ne voit plus rien du monde.
Dans cette immensité dont la clarté l’inonde,
Là-haut, devant le phare où tout rayon s’unit,
Il est comme un navire ancré dans le zénith.
Balancé puissamment sur la mer bleue et plane,
Serein, transfiguré, l’aile immobile, il plane.
Aigle dont le soleil choisit l’œil pour miroir,
Face à face avec l’astre, il s’enivre d’espoir,
De flamme, de beauté, d’infini, de lumière.
Une fixité fauve envahit sa paupière
Tandis que s’élevant sans trêve, allant toujours
Jusqu’à l’abîme astral où s’engouffrent les jours,
Où se tait la tempête, où, sans bruit et sans ombre,
L’azur est si profond qu’il semble parfois sombre,
En un suprême essor il goûte éperdument
L’unique et triomphal évanouissement.