Page:Guérin - Le Semeur de cendres, 1901.djvu/49

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Inattentive aux cris des stridentes mouettes,
Tu regardais la nuit de pente en pente errer ;
Des pleurs brûlaient tes yeux et tes lèvres muettes,
Et l’embrun te glaçait sans te désaltérer.

Et moi, sur ce rocher dont l’eau sculpte la proue,
Debout comme à l’avant d’un vaisseau de granit,
J’écoutais l’escadron des vagues qui s’ébroue,
Et, terrible, et ruant dans les récifs, hennit.

O flots ! hors de la forge où l’ouragan vous ferre,
Vous voyant, troupe immense aux crinières de sel,
Vous former, vous défaire et sans fin vous refaire,
Je souffrais du labeur de l’être universel.

Mon âme qui, d’un âpre espoir et tout entière,
A l’immuable vie aspire obstinément,
S’irritait du destin qui force la matière
A chercher sans repos son propre achèvement.