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chandise et elle fermait les yeux pour ne plus voir les fruits dorés. L’ancienne maîtresse d’école savait comment débarrasser l’orange de son écorce et de toutes les fibres blanches qui l’entourent ; ce n’était pas ce qui la mettait en peine. Un mouchoir propre sur ses genoux, elle n’aurait qu’à disposer les quartiers en étoile et les porter un à un à sa bouche. Le malheur qu’elle craignait est que le jus se mit à bondir sur son menton comme un ruisseau délivré s’élance vers la mer. Qu’en penserait sa voisine qui habitait peut-être l’Anse à Pécot. Le chasseur attendait. Elle refusa de façon si péremptoire qu’elle le découragea net.

Inconsciemment les bonnes paroles du juge Dulac agissaient : elle prenait contact avec son importance à venir et elle se préparait à ne poser que des actes exemplaires. Le sillon de sa vie était tout tracé. Déjà elle voyait le soc ouvrir la terre grasse. Aucune pierre, rien ne la rebuterait dans sa course toute droite. Le reste… néant !

Dix fois déjà le train s’était arrêté et était reparti, allégé de voyageurs et surtout de bidons à lait déposés vides sur le quai de la gare, en grand tintamarre. Le soleil en éclairant obliquement les champs apportait à la terre un peu de fraîcheur.

Caroline en éprouva un léger soulagement. Il lui restait l’inquiétude d’ignorer si les Dulac demeuraient près de la gare. Après avoir acquis la certitude que la dame à la petite bouche se rendait à l’Anse à Pécot, elle s’enquit auprès d’elle si M. Dulac, le propriétaire de « La Voix