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n’est pas close. Il vient se poser sur mon épaule ou sur la tranche du livre que je lis, mais il ne s’envole pas. Mes désirs sont comme lui, ils demeurent ». Et c’est signé : Max.

Caroline sentit le rouge lui monter au front. Comment avait-elle pu négliger de détruire toute cette littérature et on avait donc fouillé son passé jusque dans les moindres recoins. Mais il lui fallait répondre et dire la vérité.

— Ces lettres, monsieur le juge, ne sont que le produit de mon imagination. À la pension, toutes les jeunes filles avaient un amoureux. Et personne ne m’aimait. Mon délaissement servait de cible à leurs taquineries. D’abord je pris le parti d’en rire, mais à la longue j’en éprouvai du mal. C’est alors que j’inventai des lettres que je déposais bien en évidence. Mes compagnes crurent bientôt que j’avais un fiancé, reporter en mission que le hasard ramènerait avant longtemps. Ses lettres devenaient de plus en plus palpitantes. Je jouai la comédie. Je la jouai si bien que l’apparition d’un Max miraculeux dans ma vie me semblait chose plausible, jusqu’à ce que, les autres, se désintéressant de moi, je n’aie plus de raison de continuer le jeu… et pas de raison de vivre.

— Mademoiselle, des raisons de vivre, quand on croit n’en plus avoir, on en crée. La vie est un chemin…

— Oui. interrompit Caroline, un chemin mort qui ne mène à rien.

— Laissez à Mauriac et aux littérateurs ce scepticisme qui ne sied pas à votre âge. Elle est plus banale la vérité qui veut